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puis après à jeter au loin comme moi. Oh ! je hais tout, les hommes, Dieu ; et toi aussi je te hais, et pourtant je sens encore que pour toi je donnerais ma vie !

Plus je t’aimais, plus je t’aimais encore, comme ceux qui se désaltèrent avec l’eau salée de la mer et que la soif brûle toujours. Et maintenant je vais mourir !… la mort ! plus rien, quoi ! des ténèbres, une tombe, et puis… l’immensité du néant. Oh ! je sens que je voudrais pourtant vivre et faire souffrir comme j’ai souffert. Oh ! le bonheur ! où est-il ? mais c’est un rêve ; la vertu ? un mot ; l’amour ? une déception ; la tombe ? que sais-je ?

Je le saurai.

IX

Elle se leva, essuya ses larmes, tâcha d’apaiser les sanglots qui lui brisaient la poitrine et l’étouffaient ; elle regarda dans une glace si ses yeux étaient encore bien rouges de pleurs, renoua ses cheveux et sortit s’acquitter du dernier désir d’Ernest.

Mazza arriva chez le chimiste ; il allait venir. On la fit attendre dans un petit salon au premier, dont les meubles étaient couverts de drap rouge et de drap vert ; une table ronde en acajou au milieu, des lithographies représentant les batailles de Napoléon sur les lambris, et, sur la cheminée de marbre gris, une pendule en or où le cadran servait d’appui à un Amour qui se reposait de l’autre main sur ses flèches. La porte s’ouvrit comme la pendule sonnait deux heures, le chimiste entra. C’était un homme petit et mince, l’air sec et des manières polies ; il avait des lunettes, des lèvres minces, de petits yeux renfoncés. Quand Mazza lui eut expliqué le motif de sa visite, il se mit à faire l’éloge de M. Ernest Vaumont, son caractère, son cœur, ses dispositions ; enfin il lui remit le flacon d’a-