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sa peau avait une fraîcheur et un parfum de jeunesse qui rendait les baisers doux comme l’aspiration d’une rose. Cette boîte avait, au milieu, leurs chiffres entrelacés M et E, son bois était odoriférant, elle y porta ses narines et y resta longtemps contemplative et rêveuse.

Bientôt on lui amena ses enfants, ils pleuraient et demandaient leur père ; ils voulurent embrasser Mazza et se consoler avec elle, celle-ci les renvoya avec sa femme de chambre, sans un mot, sans un sourire.

Elle pensait à lui, qui était bien loin et qui ne revenait pas.

VII

Elle vécut ainsi plusieurs mois, seule avec son avenir qui avançait, se sentant chaque jour plus heureuse et plus libre, à mesure que tout ce qui était dans son cœur s’en allait pour faire place à l’amour ; toutes les passions, tous les sentiments, tout ce qui trouve place dans une âme était parti, comme les scrupules de l’enfance, la pudeur d’abord, la religion ensuite, la vertu après, et enfin les débris de tout cela qu’elle avait jetés comme les éclats d’un verre brisé. Elle n’avait plus rien d’une femme, si ce n’est l’amour, mais un amour entier et terrible, qui se torturait lui-même et brûlait les autres, comme le Vésuve qui se déchire dans ses éruptions et répand sa lave bouillante sur les fleurs de la vallée.

Elle avait des enfants, ses enfants moururent comme leur père ; chaque jour ils pâlissaient de plus en plus, s’amaigrissaient, et la nuit ils se réveillaient dans le délire, se tordant sur leur couche d’agonie en disant qu’un serpent leur mangeait la poitrine, car il y avait là quelque chose qui les déchirait et les brûlait sans cesse, et Mazza contemplait leur agonie avec un sou-