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que maintenant, Marguerite, je hais l’enfant qui est la femme adultère.

— Non, tu ne m’as jamais aimée !

— Oh ! Marguerite, oui je t’aimais et je t’ai donné mon bonheur, car je me suis étourdi sur le crime de ton père, et j’ai perdu ma foi, et maintenant tout mon être est le mélange de tous les vices, de toute la haine qui peuvent tenir dans le cœur d’un homme ; mais cette haine a débordé du vase des passions, quelques gouttes sont tombées sur toi et te rongent.

— Ciel ! serais-tu ici l’exécuteur ?

— Écoute, Marguerite ! Non, tu ne m’as jamais aimé ! tu croyais pouvoir me dire dans mon cachot[1] : « Lyonnet, tu m’as abaissée[2] à la prière », tu voyais mes larmes sans pitié, tu contemplais mon orgueil qui venait mourir aux pieds d’un assassin ; en bien, j’assisterai à ton agonie, je contemplerai tes dernières convulsions, je verrai la main gluante de l’exécuteur s’abaisser sur ta tête défaillante, et je la verrai, cette tête, tomber et rebondir sur le passé sanglant. Eh bien, maintenant, Marguerite, les temps sont changés et c’est moi qui suis le maître, et toi la victime ; oui, Marguerite, j’ai ordre de Louis de t’étrangler avec tes cheveux.

— Lyonnet, tu ne te ressouviens pas de nos amours, en Bourgogne, de tes promesses et de tes serments ?

— Non, non, à toi les orgies à la tour de Nesle, à toi la trace de sang que l’on voyait sur ses murs, à toi les cadavres que la Seine chaque matin roulait dans son lit ; à toi la honte, à toi l’ignominie, à toi la mort, à toi la malédiction !

— Oh ! grâce ! grâce, Lyonnet ! Nous partirons, nous irons vivre loin d’ici, vivre dans notre premier amour, oublier tout comme un rêve sanglant. Grâce ! grâce !

  1. Au Châtelet.
  2. Voyez dans la Tour de Nesle la scène de la taverne d’Orsini.