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les chevaliers, les propos des gentilshommes, tout s’était évanoui, tout avait coulé, fui, les baisers, les amours, les tendres épanchements, les séductions des talons rouges ; le canapé était resté à sa place, sur ses quatre pieds d’acajou, mais son bois était vermoulu et sa garniture en or s’était ternie et effilée.

Djalioh était assis à côté d’Adèle ; celle-ci fit la moue en s’asseyant, et recula sa chaise, rougit et se versa précipitamment du vin. Son voisin, en effet, n’avait rien d’agréable, car depuis un mois qu’il était avec M. Paul dans le château, il n’avait pas encore parlé ; il était fantasque selon les uns, mélancolique, disaient les autres, stupide, fou, enfin muet, ajoutaient les plus sages ; il passait chez Mme de Lansac pour l’ami de M. Paul, un drôle d’ami, pensaient tous les gens qui le voyaient.

Il était petit, maigre et chétif ; il n’y avait que ses mains qui annonçassent quelque force dans sa personne, ses doigts étaient courts, écrasés, munis d’ongles robustes et à moitié crochus. Quant au reste de son corps, il était si faible et si débile, il était couvert d’une couleur si triste et si languissante, que vous auriez gémi sur cet homme jeune encore et qui semblait né pour la tombe, comme ces jeunes arbres qui vivent cassés et sans feuilles. Son vêtement, complètement noir, rehaussait encore la couleur livide de son teint, car il était d’un jaune cuivré ; ses lèvres étaient grosses et laissaient voir deux rangées de longues dents blanches, comme celles des singes et des nègres. Quant à sa tête, elle était étroite et comprimée sur le devant, mais par derrière elle prenait un développement prodigieux, ceci s’observait sans peine, car la rareté de ses cheveux laissait voir un crâne nu et ridé.

Il y avait sur tout cela un air de sauvagerie et de bestialité étrange et bizarre, qui le faisait ressembler plutôt à quelque animal fantastique qu’à un être hu-