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dingote est l’élément du Commis comme l’eau est celui des poissons.

Originaire de l’ancien continent, il est malheureusement très répandu dans nos pays. Ses mœurs sont douces : il se défend quand on l’attaque. Il reste le plus souvent célibataire et mène alors la vie de garçon. La vie de garçon ! C’est-à-dire qu’au café il dit « Mademoiselle » à la dame du comptoir, prend le sucre qui lui reste sur son plateau et se permet parfois le fin cigare de trois sous. Oh ! mais alors le Commis est infernal ! Le jour qu’il a fumé il se sent belliqueux, taille quatre plumes avant d’en trouver une bonne, rudoie le garçon de bureau, laisse tomber ses lunettes et fait des pâtés sur ses registres, ce qui le désole considérablement.

D’autres fois, le Commis est marié. Alors il est citoyen paisible et vertueux et n’a plus la tête chaude de sa jeunesse. Il monte sa garde, se couche à neuf heures, ne sort pas sans parapluie. Il prend son café au lait tous les dimanches matin, lit le Constitutionnel, l’Écho, les Débats ou quelque autre journal de cette force.

Il est chaud partisan de la Charte de 1830 et des libertés de Juillet. Il a du respect pour les lois de son pays, crie « Vive le Roi ! » devant un feu d’artifice et blanchit son baudrier tous les samedis soir.

Le Commis est enthousiaste de la garde nationale ; son cœur s’allume au son du tambour et il court à la place d’armes, sanglé et étranglé dans son col, en fredonnant : « Ah quel plaisir d’être soldat ! »

Quant à sa femme, elle garde la maison tout le long du jour, raccommode les bas, fait des manchettes en toile pour son époux, lit les mélodrames de l’Ambigu et trempe la soupe ; c’est là sa spécialité.

Quoique chaste, le Commis a pourtant l’esprit licencieux et enjoué : car il dit « Ma belle enfant » aux jeunes personnes qui entrent dans le bureau. De plus il est abonné aux romans de Paul de Kock, dont il fait ses