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— Un homme ? Satan ! Dis, en as-tu vu des hommes qui puissent s’étendre dans les airs jusqu’aux nuages ? — et il déploya ses ailes vertes — en as-tu vu des cheveux comme ceux-là ? — et il montra sa chevelure bleue. — As-tu vu chez aucun d’eux un corps blanc comme la neige, une main aussi forte que celle-là, Satan ? — et il lui serrait fortement la peau entre ses ongles — enfin, y en a-t-il qui ose jamais t’insulter ainsi ? Puisque tu désires mon âme, tue-moi de suite, écrase ma tête dans tes dents, déchire-moi de tes griffes, essaie et vois si je suis un homme.

Et Satan bondissait sur le pavé, il écumait de rage et, dans ses sauts convulsifs, il allait se frapper les reins sur le plafond. Arthur était paisible.

— Satan, lui dit-il, tu es fort en effet, tu es puissant, je sens que tu peux m’anéantir d’un seul coup, essaie, essaie, ah ! de grâce, tue-moi !… Oui, j’ai une âme, je te la donne, mon âme ; tue-moi, cela t’est facile, car je ne suis qu’un homme.

Le démon sauta sur sa gorge avec un cri infernal qui partait de ses entrailles ; il voulut le saisir, la peau lui glissa sous les dents, Arthur se dégagea la poitrine ; Satan s’élança d’un bond furieux, les griffes en avant, il retomba sans pouvoir effleurer l’épiderme qui était intact et poli ; il bondissait, furieux, éperdu, un aboiement rauque courait sur ses lèvres ensanglantées, ses yeux flamboyaient, il trépignait ; Arthur se coucha sur le sol, étendit ses ailes, Satan glissait dessus, il s’y traînait, y rampait, ouvrait la gueule pour le déchirer, ses griffes s’usaient comme à déchirer un roc ; il bavait haletant, rouge de colère : pour la première fois il se trouvait vaincu. Et puis l’autre… l’autre riait mollement, et ce rire paisible était éclatant, sonore et comme mêlé à un bruit de fer ; le souffle bruyant qui s’exhalait de sa gorge repoussait Satan, comme la furieuse vibration d’une cloche d’alarme qui