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— Non.

— N’est-ce pas, Julietta, que tu aimes l’église et son encens, sa haute nef, ses murailles noircies et ses chants mystiques ?

— Non.

— Tu aimes la mer, les coquilles au rivage, la lune au ciel et des rêves dans tes nuits ?

— Oh ! oui ! j’aime tout cela.

— Et qu’y rêves-tu dans tes nuits, Julietta ?

— Que sais-je ?

Et elle devint toute pensive.

— N’est-ce pas que tu souhaites une autre vie, des voyages lointains ? n’est-ce pas que tu voudrais être la feuille de rose pour rouler dans l’air, être l’oiseau qui vole, le chant qui se perd, le cri qui s’élance ? n’est-ce pas que le duc Arthur est beau, riche et puissant ? Et lui aussi, il aime les rêves, les sublimes extases.

« Oh ! qu’il vienne ! qu’il vienne ! continua-t-il tout bas, qu’il vienne ! elle l’aimera et d’un amour chaud, brûlant, entier, ils se perdront tous deux. »

La lune roulait sous les nuages, elle éclairait la montagne, la vallée et le vieux château gothique, dont la sombre silhouette se dessinait au clair de lune comme un fantôme sur le mur du cimetière.

— Levons-nous, dit l’inconnu, et marchons !

L’étranger prit Julietta et l’entraîna sur ses pas, les vaches bondissaient, galopaient dans les champs, elles couraient, éperdues, les unes après les autres, puis revenaient autour de Julietta en sautant et en dansant ; on n’entendait que le bruit de leurs pas sur la terre et la voix du cavalier aux éperons d’or qui parlait et parlait toujours d’un son régulier comme un orgue. Il y avait longtemps qu’ils marchaient ainsi, le chemin était facile, et ils marchaient rapidement sur l’herbe fraîche, glissante sous les pieds comme une glace polie. Julietta était fatiguée, ses jambes s’affaissaient sous son corps.