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l’Orient ! avec sa poésie toute d’amour et d’encens ; l’Orient ! avec ses parfums, ses émeraudes, ses fleurs, ses jardins aux pommes d’or ; l’Orient ! avec ses fées, ses caravanes dans les sables ; l’Orient ! avec ses sérails, séjour des fraîches voluptés. Il rêvait, l’insensé, des ailes blanches des anges qui chantaient les versets du Coran aux oreilles du Prophète ; il rêvait des lèvres de femmes pures et rosées, il rêvait de grands yeux noirs qui n’avaient d’amour que pour lui, il rêvait cette peau brune et olivâtre des femmes de l’Asie, doux satin qu’effleure si souvent dans ses nuits le poète qui les rêve ; il rêvait tout cela ! Mais le réveil allait venir, morne, impitoyable, comme la réalité qu’il apporte.

Il rêvait l’amour dans une tombe ! mais le rêve s’efface, et la tombe reste.

Il ouvre les yeux, se sent entouré dans de longs plis, il s’en dégage, palpe de ses mains tremblantes le bois qui l’entoure, sur sa tête, sur les côtés, partout, partout… Il se tâte lui-même, se sent nu. Oh ! c’est un songe, un songe horrible, infernal, un cauchemar ! Arrière toute idée d’éternité, lui qui veut s’accrocher à la vie !

Mais l’éternité est là, couchée avec toi, dans son lit de noces, t’attirant vers elle, riant derrière ta tête avec une grimace de démon.

Il a peur, peur de ce squelette hideux, dont il lui semble palper les os sur sa poitrine. Oh ! non ! c’est impossible !

Et il voulut se rendormir, oublier tout cela, s’étourdir sur la réalité, effacer de sa pensée cette masse de plomb qui pesait sur sa tête et se bercer dans d’autres rêves.

Non ! il avait trop rêvé. Ah ! d’autres rêves maintenant ? rêve l’éternité si tu veux. Eh bien, l’Orient ? maintenant rêve donc l’Orient dans ta tombe, dans une pensée de volupté et dans des rêves dorés ! Non ! non ! l’agonie et les rêves d’enfer, l’agonie qui s’ar-