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MATTEO FALCONE

ou
DEUX CERCUEILS POUR UN PROSCRIT.

C’était en Corse, dans un grand champ, sur un tas de foin que, à moitié éveillé, Albano, couché sur le dos, caressait sa chatte et ses petits, tout en regardant les nuages qui passaient sur le fond d’azur et le soleil qui reluisait de son éclat de pourpre et dardait ses rayons sur la plaine bordée de coteaux.

C’était un bel enfant qu’Albano : de longs cheveux tombaient en boucles sur ses épaules, à chaque sourire vous auriez dit une parole de joie, à chaque regard un éclair dans les yeux.

Il entend des coups de fusil qui se succèdent, il se détourne en sursaut, et aussitôt un homme vient se jeter en courant sur le tas de foin ; ses cheveux étaient épars, ses vêtements étaient en lambeaux, la peau de son genou était déchirée, beaucoup de sang s’en écoulait, et l’on voyait à la trace de ses pas que là un proscrit avait passé.

— Enfant, lui dit-il, cède-moi ta place. Oh ! je t’en prie ! que je me cache !

Albano jouait toujours avec sa chatte.

— Par grâce ! par pitié, oh ! cache-moi !

— Que voulez-vous ?

— Cache-moi !

Et il lui jeta une pièce de monnaie qui, en tombant, affaissa le foin.

Et le proscrit s’était mis sous la paille.