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en un seul bond sur elle, lui arracha la couchette.

— Encore, toujours toi, Isabellada !

Elle prononça ce mot de la manière la plus dure qu’il lui était possible, car son harmonie lui déplaisait.

— N’est-ce point assez, continua-t-elle avec verve et chaleur, n’est-ce point assez que tu viennes chez nous t’y établir, y dominer, y faire la souveraine ; que tu prennes mon mari, que tu me l’enlèves tous les jours de ma couche pour le porter dans la tienne ? n’est-ce pas assez, fille de Satan ! de nous insulter en public par ta beauté que tu prostitues à l’admiration du premier venu ? dis, réponds, n’est-ce pas assez ? l’infamie et l’outrage ne sont-ils pas portés assez haut, sans que tu viennes encore arracher les linges qui cachent le sang de nos plaies ? Il retomberait sur toi, ce sang ! prends-y garde !… Ah ! ah ! les belles filles, les jolies, à qui tout le monde jette des fleurs, des louanges, de l’argent, vous nous donnez en échange le mépris, la honte et la misère. Tiens, Pedrillo, regarde si je n’ai pas raison !

— Qu’y a-t-il, Isabellada ?

— Son enfant a voulu prendre la couverture du mien, et Marguerite soutient que c’est à elle.

— Marguerite, qu’as-tu à dire ?

— Elle ment, Pedrillo, ne l’écoute pas !

— C’est toi, Marguerite.

Et il la repoussa durement dans la tente ; là, elle s’arracha les cheveux, déchira ses habits, se roula par terre, se mit le visage en sang.

Elle se releva.

Il faut donc boire l’amertume jusqu’à la lie ! « Eh bien, encore, encore, lsabellada, danse mieux s’il est possible ! Pedrillo, aime-la plus encore ! et moi, je vous haïrai davantage. »

Tout à coup elle se jeta aux genoux de Pedrillo, qui entrait dans la tente au même moment.

— Que viens-tu faire ici ?