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d’étroites limites ; elle ne s’inquiète pas de tirer aujourd’hui la conséquence du principe qu’elle a posé hier ; elle la tirera dans des siècles, quand l’heure sera venue ; et pour raisonner lentement selon nous, sa logique n’est pas moins sûre. La Providence a ses aises dans le temps ; elle y marche en quelque sorte comme les dieux d’Homère dans l’espace ; elle fait un pas, et des siècles se trouvent écoulés. Que de temps, que d’événements avant que la régénération de l’homme moral par le christianisme ait exercé, sur la régénération de l’état social, sa grande et légitime influence ? Il y a réussi pourtant ; qui peut le méconnaître aujourd’hui ?

Si de l’histoire nous passons à la nature même des deux faits qui constituent la civilisation, nous sommes infailliblement conduits au même résultat. Il n’est personne qui n’ait fait sur lui-même cette expérience. Quand un changement moral s’opère dans l’homme, quand il acquiert une idée, ou une vertu, ou une faculté de plus, en un mot, quand il se développe individuellement, quel est le besoin qui s’empare de lui à l’instant même ? C’est le besoin de faire passer son sentiment dans le monde extérieur, de réaliser au dehors sa pensée. Dès que l’homme acquiert quelque chose, dès que son être prend à ses propres yeux un nouveau développement, une valeur de plus, aussitôt à ce développement, à cette valeur nouvelle, s’attache pour lui l’idée d’une mission ; il se sent obligé et poussé par son instinct, par une voix intérieure, à étendre, à faire dominer hors de lui le changement, l’amélioration qui s’est accomplie en lui. Les grands réformateurs, on ne les doit