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l’espace que nous avons déjà parcouru, les chemins par lesquels nous avons passé. Nous avons démêlé, au milieu des ruines de l’Empire romain, tous les éléments essentiels de notre Europe ; nous les avons vus se distinguer, grandir, chacun pour son compte et avec indépendance. Nous avons reconnu, pendant la première époque de l’histoire, la tendance constante de ces éléments à la séparation, à l’isolement, à une existence locale et spéciale. À peine ce but paraît atteint, à peine la féodalité, les communes, le clergé, ont pris chacun sa forme et sa place distincte, aussitôt nous les avons vus tendre à se rapprocher, à se réunir, à se former en société générale, en corps de nation et de gouvernement. Pour arriver à ce résultat, les divers pays de l’Europe se sont adressés à tous les différents systèmes qui coexistaient dans son sein ; ils ont demandé le principe d’unité sociale, le lien politique et moral à la théocratie, à l’aristocratie, à la démocratie, à la royauté. Jusqu’ici toutes ces tentatives ont échoué ; aucun système, aucune influence n’a su s’emparer de la société, et lui assurer, par son empire, une destinée vraiment publique. Nous avons trouvé la cause de ce mauvais succès dans l’absence d’intérêts généraux et d’idées générales ; nous avons reconnu que tout était encore trop spécial, trop individuel, trop local ; qu’il fallait un long et puissant travail de centralisation pour que la société pût s’étendre et se cimenter en même temps, devenir à la fois grande et régulière, but auquel elle aspire nécessairement. C’est dans cet état que nous avons laissé l’Europe à la fin du quatorzième siècle.