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les premiers essais de la poésie moderne, est-ce là l’unique carrière à parcourir ? ces travaux ont-ils le droit d’absorber toute l’activité de l’entendement et d’être considérés comme la plus haute occupation de l’esprit ? Non, certes, et si une pareille infatuation venait à triompher, on en déplorerait bientôt les funestes conséquences.

D’abord les facultés les plus énergiques de l’esprit humain seraient condamnées au sommeil et à l’immobilité. Trompées par des succès faciles, de fraîches et vigoureuses imaginations laisseraient passer le temps de l’inspiration et de la verve ; la puissance créatrice cèderait le pas à l’industrie subalterne de l’investigateur, l’accessoire l’emporterait sur le principal, le maçon sur l’architecte, le tailleur de pierres sur le statuaire.

Ensuite il serait par trop aisé à la sottise de se pavaner à côté du savoir et du talent. Cette espèce d’usurpation est plus dangereuse qu’on ne pense ; elle tend à bouleverser la république des lettres, de même que l’avénement des hommes incapables au pouvoir porte le trouble dans la société politique. Il est vraiment scandaleux de permettre à un imbécile de se croire des titres à la célébrité par cela seul qu’il a mis la main sur de vieilles paperasses. N’est-ce pas pitié de voir des gens sans idées, sans style, sans connaissances acquises, forcer le public à s’occuper d’eux, pour s’être avisé d’attacher leur nom à quelque précieux débris, comme ces badauds qui s’imaginent aller à la postérité en salissant d’inscriptions niaises le torse d’un Hercule ou le buste antique d’un Jupiter Tonnant ?