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le vrai développement de la société et de l’homme, quels développements seraient trompeurs, illégitimes, pervertiraient au lieu d’améliorer, entraîneraient un mouvement rétrograde au lieu d’un progrès.

Nous ne chercherons point à éluder, Messieurs, cette nécessité de notre travail. Non-seulement nous ne réussirions qu’à mutiler, à abaisser nos idées et les faits ; mais l’état actuel du monde nous impose la loi d’accepter franchement cette inévitable alliance de la philosophie et de l’histoire. Elle est précisément l’un des caractères, peut-être le caractère essentiel de notre époque. Nous sommes appelés à considérer, à faire marcher ensemble la science et la réalité, la théorie et la pratique, le droit et le fait. Jusqu’à notre temps, ces deux puissances ont vécu séparées ; le monde a été accoutumé à voir la science et la pratique suivre des routes diverses, sans se connaître, sans se rencontrer du moins. Et quand les doctrines, quand les idées générales ont voulu entrer dans les événements, agir sur le monde, elles n’y sont parvenues que sous la forme et par le bras du fanatisme. L’empire des sociétés humaines, la direction de leurs affaires, ont été jusqu’ici partagés entre deux sortes d’influences : d’une part, les croyants, les hommes à idées générales, à principes, les fanatiques ; de l’autre, les hommes étrangers à tout principe rationnel, qui se gouvernent uniquement en raison des circonstances, les patriciens, les libertins, comme les appelait le dix-septième siècle. C’est là, Messieurs, l’état qui cesse aujourd’hui ; ni les fanatiques ni les libertins ne sauraient plus dominer. Pour gouverner, pour prévaloir parmi les hommes,