Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/112

Cette page n’a pas encore été corrigée

Que faut-il pour que les hommes puissent fonder une société un peu durable, un peu régulière ? Il faut évidemment qu’ils aient un certain nombre d’idées assez étendues pour convenir à cette société, s’appliquer à ses besoins, à ses rapports. Il faut de plus que ces idées soient communes à la plupart des membres de la société ; enfin qu’elles exercent quelque empire sur leurs volontés et leurs actions.

Il est clair que si les hommes n’ont pas des idées qui s’étendent au-delà de leur propre existence, si leur horizon intellectuel est borné à eux-mêmes, s’ils sont livrés au vent de leurs passions, de leurs volontés, s’ils n’ont pas entre eux un certain nombre de notions et de sentiments communs, autour desquels ils se rallient ; il est clair, dis-je, qu’il n’y aura point entre eux de société possible ; que chaque individu sera, dans l’association où il entrera, un principe de trouble et de dissolution.

Partout où l’individualité domine presque absolument, où l’homme ne considère, que lui-même, ou ses idées ne s’étendent pas au-delà de lui-même, ou il n’obéit qu’à sa propre passion, la société, j’entends une société un peu étendue et permanente, lui devient à peu près impossible. Or, tel était, à l’époque qui nous occupe, l’état moral des conquérants de l’Europe. J’ai fait remarquer, dans la dernière séance, que nous devions aux Germains le sentiment énergique de la liberté individuelle, de l’individualité humaine. Or, dans un état d’extrême grossièreté et d’ignorance, ce sentiment, c’est l’égoïsme dans toute sa brutalité, dans toute son insociabilité. Du cinquième au huitième siècle, il en était à ce point parmi les Germains.