Page:Guizot - Dictionnaire universel des synonymes, 1809.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
INTRODUCTION. xj


J'ai insisté sur cet exemple, pour montrer la nécessité d'étudier chez nos auteurs eux-mêmes, seuls régulateurs et seuls juges de l'usage écrit, les modifications, soit simultanées, soit successives, que le sens propre des mots a pu ou peut encore admettre.

Quant à l'usage parlé, on vient de voir qu'il n'est pas toujours d'accord avec l'usage écrit ; c'est une raison de plus pour ne pas le négliger. Il est d'ailleurs une infinité de mots qui sont plutôt du ressort de la conversation que de celui du style, et dont les modifications nous sont connues uniquement par la tradition, de quelque manière qu'elle arrive jusqu'à nous. Cet usage, plus arbitraire et plus passager que l'usage écrit, parce que celui-ci devient une règle dès qu'il est consacré dans les livres classiques, est plus difficile à reconnaître ; il faut en chercher les traces chez les poètes comiques, dans les correspondances et dans les mémoires des contemporains.

On observera que je n'ai encore parlé que de l'usage des temps antérieurs au nôtre ; celui-ci cependant ne paraît pas devoir être oublié : peut-on s'en servir avec fruit dans l'étude des synonymes ?

Il est aisé de sentir que nous ne pouvons avoir d'usage écrit moderne ; il n'appartient qu'aux auteurs classiques de le former, et les auteurs ne deviennent classiques dans la langue que lorsque la postérité les a honorés de ce titre ; elle a le droit de juger ceux dont les exemples doivent faire règle pour elle. Quel que soit donc le mérite de nos contemporains, il ne faut user de leur autorité qu'avec une grande circonspection, dussions-nous d'ailleurs les prendre pour modèles dans nos propres ouvrages.

Il n'en est pas ainsi de l'usage parlé : incertain et fugitif, il n'a sur la postérité aucune influence positive ; l'histoire de la langue est le seul rapport sous lequel il puisse l'intéresser. Formé presque au hasard, fondé souvent sur des motifs de peu de valeur, il n'oblige que les contemporains, qui eux-mêmes en sont plutôt les témoins que les juges ; c'est à eux de transmettre aux générations à venir les modifications qu'il fait subir aux mots, puisqu'elles sont des règles pour eux, et ne seront peut-être pour elles que des faits isolés et sans pouvoir. Celui qui s'occupe de la synonymie des mots doit donc y avoir égard ; et cette précaution est d'autant plus nécessaire, que, ne pouvant prévoir