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voir se donner davantage au public, dès qu’il fut élevé en dignité il se retira encore davantage. Il chercha une cellule plus secrète ; dans la première, comme il l’affirmait lui-même, son corps, consumé par une trop grande abstinence, avait changé plus de neuf fois de peau. La dignité d’abbé étant venue le surprendre tandis que, dans cette humilité, il se livrait aux oraisons et à la lecture, il pensa souvent qu’il eût mieux valu pour lui vivre retiré parmi les moines que de recevoir le titre d’abbé aux yeux du peuple. Enfin, disant adieu à ses frères et recevant aussi leurs adieux, il se renferma. Il demeura dans cette solitude dans une plus grande abstinence qu’il n’avait fait auparavant. Soigneux d’exercer la charité, lorsqu’il venait un étranger, il lui accordait le tribut de ses oraisons et lui administrait abondamment les choses bénites. Il guérit souvent par ce moyen un grand nombre de malades. Une fois attaqué d’une violente fièvre, il gisait privé de respiration sur son lit, voilà que soudainement la cellule, éclairée d’une grande lumière, fut ébranlée. Sauve ayant levé les mains aux cieux en forme d’actions de grâces, rendit l’âme. Les moines mêlant leurs gémissements à ceux de la mère de leur abbé, emportent le corps du mort, le lavent dans l’eau, le couvrent de vêtements, le placent dans un cercueil, et passent la nuit à gémir et à chanter des psaumes. Le lendemain matin, la cérémonie des obsèques étant préparée le corps commença à s’agiter dans le cercueil, et voilà qu’au grand effroi des méchants, Sauve, comme sortant d’un profond sommeil, se leva, ouvrit les yeux, et, les mains élevées, dit : « Ô Seigneur miséricordieux ! pourquoi m’as-tu fait