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cogomis

« Pourras-tu toujours traîner cette vieille ? » lui dit Awessenipin, à voix très basse, avec un sourire de chien qui grogne. « Ne vois-tu pas qu’elle souffre, nous fait souffrir aussi, et serait mieux morte que vivante ? Le vieux canot ne demande qu’à aller sous l’eau. »

— « Hou ! » reprend Sésibahaura, en imitant le cri du hibou son totem, « Hou ! si notre mère n’était plus qu’une gébie, elle pourrait voir et marcher avec les ombres. »

— « Les jeunes loups dévorent les vieux », dit l’aîné qui a le loup pour totem.

— « Lorsque la vieille chouette ne peut plus voler, elle se cache et meurt », ajoute le cadet.

Awatanit ne dit rien ; mais, à son insu, ces arguments monstrueux produisent lentement sur lui leur effet. Tout en aimant sa mère, il se surprend parfois à penser que ses frères ont un peu raison. Son imagination superstitieuse s’habitue peu à peu à l’horreur du spectacle entrevu. Ses répugnances ne sont peut-être pas invincibles. Sur lui aussi le spectre de la misère exerce un peu son obsession aveuglante.

Du fond de sa somnolence, la malheureuse a saisi presque toutes les paroles de ses fils dénaturés ; mais, la figure cachée sous un pan de son manteau, elle reste assez longtemps comme incapable de les réaliser.