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dont les vieillards vivent, et plus que les autres ceux qui, devenus aveugles, sentent leur isolement décuplé par les ténèbres. Cent fantômes tristes ou charmants réapparaissent à Cogomis, lorsqu’elle entend crépiter le feu, gronder la bourrasque, siffler la bise entre les écorces de sa cabane, ululer les chouettes pendant les longues nuits boréales.

Mais parfois aussi, un serrement de cœur, l’arrachant à ces visions du passé lointain, lui rappelle des réalités poignantes, les cruels paroles de ses fils, et elle songe : Sont-ils sincères ? Est-il vrai qu’ils désirent me voir au fond de quelque lac, avec la tortue que j’ai pour totem ? — Awessenipin… peut-être… Sésibahoura… pas encore. Quant à Awatanil, le dernier échappé de mes bras, il se dévoue pour moi et donc il m’aime.

Et pour la centième fois, la voici presque consolée ; et la poésie dont son âme aussi sensible que sauvage vivait jadis lui revient, chante doucement à son oreille, à son imagination d’Algonquine faite pour l’enchantement : poésie de la nature, mais surtout poésie sombre de l’hiver…

Pendant ses longues journées solitaires, c’est bien cette poésie qui éclaire ses yeux éteints et la berce un peu ; c’est bien cette divinité invisible qui se révèle partout dans les forêts du nord, comme dans son séjour de prédilection. Elle y vole dans le ciel clair et froid ou voilé de neige ; Elle