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en mocassins

Elle ne mourra pas maintenant de faim. On fera ripaille.

L’attelage se remet en marche et Cogomis retombe, sous les fourrures, dans sa somnolence habituelle d’octogénaire aveugle. Les chiens, le cou tendu et la langue pendante, enfoncent dans la neige accumulée çà et là par le vent, mais tirent leur double charge avec plus d’ardeur, et le sauvage véhicule cahote, secouant les totems de la famille attachés à sa volute, et de vieilles loques traînent de chaque côté sur la neige.

***

Souvent l’équipage primitif traverse, sous un ciel du plus beau bleu, d’immenses plateaux dont le soleil fait, mieux que la tempête, ressortir la désolation. À perte de vue, ils s’étendent, d’un blanc monotone et sillonnés de vagues, mais de vagues figées dans leur bond, levant des crêtes étincelantes et des crinières fantômes de poudrerie qu’agite le vent. De ces vagues immobiles sortent quelques îlots d’arbustes, témoins d’une vie naufragée, et parfois une pierre colossale, morne comme une barque sans pilote. Par ces jours clairs et froids, le vent durcit la neige et la rend propice aux fuites vertigineuses de caribous. Alors, il faut, pour nourrir la famille et les chiens, se contenter de quelques