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en mocassins

fourchue : Chémanitou met dans la bouche du monstre une langue de serpent. Dans le même style, il lui fabrique encore une moustache pelliculeuse et flottante, un nez en bec de vautour et une hure en dos de porc-épic.

Alors, prenant la tête sur sa main, il l’éloigne en étendant le bras, la tourne et la retourne, afin d’en examiner les divers profils ; il fauche avec dans l’air et voit flotter les moustaches, se détacher le nez crochu, osciller aux bouts de leurs tiges les yeux de langouste.

Un peu tristement, il remet cette affreuseté sur les épaules et, d’un air songeur, la regarde… C’est la première fois qu’il fait une figure verticale, et l’idée de l’homme qu’il créera plus tard, germe dans son esprit. En même temps, il appréhende ce que pourra faire ce bipède, au port élevé, capable de tout voir et même de comprendre.

Pendant qu’il hésite à compléter son œuvre, le soleil s’enfonce, rouge, dans les forêts de l’ouest ; l’ombre s’étend sur l’île et la mer ; les engoulevents font leur ronde vespérale, égrènent dans les airs leur piaillerie ; les mouches-à-feu, comme de petits météores, filent sur les champs d’herbages ; sorties de leurs retraites obscures, les chauves-souris volent au crépuscule.

Déjà il fait très noir, lorsqu’un grand vent se met à balayer le sol, à siffler dans les roseaux, à faire