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en mocassins

traverse en l’air un immense pays, se protège avec sa lance contre les chocs au flanc d’un pic de montagne où l’oiseau essaie de le tuer, et tombe enfin vivant sur le sommet, près d’un nid sinistre, entouré d’ossements, plein de jeunes monstres. Il en perce un de sa lance, l’écorche, s’enveloppe dans sa peau, se jette en bas de l’escarpement. Les plumes fulgurantes de la dépouille crépitent en frottant les aspérités du roc ; il arrive en bas indemne, au sein d’une gerbe d’étincelles, et retrouve sa cabane après une marche de plusieurs jours. Puis, grande colère des oiseaux-foudres, éclats assourdissants de tonnerre, déchirement du ciel par les éclairs. Cela dure six mois pendant lesquels on ne cesse de voir au loin flamber la montagne de Wichipicoton.[1]

Que le conteur soit abénaquis, attikamèque ou sauteux, sur ses lèvres alterneront les légendes, les fables, parfois les allégories, et toujours la même verve fera couler le récit, vif, imagé, sans hésitation ni défaillance. Aux tragiques exploits d’un windigo,[2] succédera l’idylle d’une jeune fille qui se dégoûte de la vie et se fiance au manitou de la tombe ; ou qui, trop peu surveillée par ses parents, se plaît à rêver dans la solitude et s’enamourache d’un esprit.

L’âme bercée par une douce tristesse, le naïf auditeur suivra, tantôt l’épopée d’un orphelin poursuivi

  1. Voir « Ojibway Nation », p. 109 et suiv.
  2. Affreux géant manitou qui selon la légende dévorait les Algonquins.