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LE SERGENT DANIEL

qu’un possèdant le mauvais œil ou par un sort jeté sur moi.

Le parrain haussait les épaules en entendant de telles paroles et s’en allait sans souffler mot.

Heureusement, l’école du régiment où je débutai en apprenant l’alphabet, en traçant des lettres sur le sable, m’arracha à l’ignorance et me donna le goût de l’instruction.

Toute ma science se bornait alors à peu de chose ; mais, je ne me lassais pas d’étudier seul, d’observer, de réfléchir et de comparer.

Assis en face de ces fameuses montagnes des Pyrénées, tant chantées, si souvent décrites, je m’abandonnais à mes méditations lorsque la voix de mon fourrier me fit tourner la tête.

— Il fait bon, ce soir, sergent, de respirer l’air du dehors !

— Mais oui… il y a des places à volonté.

— Ce n’est pas de refus ! Quel beau temps !

Le jeune homme s’assit à mes côtés ; et, tranquillement, nous nous mimes à causer comme de bons amis.

— Sergent, me disait-il, êtes-vous comme moi ? je trouve que ça vous remue le cœur de voir ces grosses masses de terre… ah ! s’il n’était pas trop tard… je m’escrimerais tant et plus sur les livres, à regarder d’où ça provient et par quel hasard la neige s’y conserve en tous temps.

— S’il n’était pas trop tard ?…

— Oui, sergent ! Le Rebouteux de mon pays — un fin matois, je vous jure ! — m’a toujours dit qu’à vingt ans l’entendement est fermé,