Page:Guinault - Sergent ! (1881).pdf/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
SERGENT !

» Il y en a toujours une qui ne les oubliera pas, c’est la Toinon, la citoyenne la mieux nippée et la meilleure ménagère de l’endroit à l’heure qu’il est.

» Je te dirai, mon cher Daniel, que l’année n’a pas été mauvaise : l’épi a bien rendu, la pomme de terre a donné et le raisin s’est bien comporté ; il y a seulement une chose qui ne me va pas ; vu que ça tourmente le bétail : les loups.

» Figure-toi qu’on en a tué plusieurs ici. Les bêtes ont, par bonheur, plus d’esprit qu’elles n’en ont l’air, si je comptais ce que je vais te marquer présentement à des bourgeois, on me rirait au nez ; mais toi qui as été élevé au milieu des ani­maux, tu me croiras sur parole.

» J’avais donc mené mes bœufs au pâturage avec nos trois petits veaux, tu sais, près de la pièce au père Serpouilly, qui n’est pas loin du bois. Voilà que j’entre dans la cabane à berger pour faire un somme. Je me dis : « Je vas être tranquille ! personne ne me dérangera. Mon chien se couche à mes pieds. Nous fermons les yeux et nous ronflons de compagnie. Bon ! Tout d’un coup, mon Rabat-Joie se lève et se met à hurler au loup. Tu connais ça.

» Ma foi ! je n’avais rien sous la main, je ne bouge pas ; mais je regarde par la lucarne. Qu’est-ce que je vois ? Mes bœufs qui se rangent en cer­cle, les cornes en avant, se serrent les uns contre les autres laissant au milieu un rond où mes petits veaux se tiennent cois.

» Je me mis à rire tout seul en voyant cette belle