Page:Guinault - Le numéro treize (1880).pdf/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
LE CHARME

En cet endroit le sentier tournait.

Mes compagnons dissimulaient leur inquiétude sous une apparence de gaîté ; moi, je les écoutais rire et causer et je me demandais si de l’eau, puisée ici ou là, pouvait posséder l’efficacité que ma mère lui attribuait.

Il faut avoir grandi sous l’empire de préjugés et d’idées étroites, pour savoir combien il est difficile de s’en affranchir, si raisonnable qu’on soit.

Je le verrai tout à l’heure, me disais-je, en entendant les roulements vigoureux de la caisse, les chants des conscrits et les marches militaires faussées par des amateurs téméraires.

Il me semblait entendre un glas funèbre ; l’émotion me donnait des frémissements jusque dans les cheveux, ma lucidité d’esprit s’éteignait. Les oiseaux perchés sur les arbres le long du chemin me paraissaient venus là tout exprès pour me voir passer. Une vieille corneille vola à gauche et s’arrêta sur le tronc d’un arbre mort.

Couac… Couac…

Sept ans ! sept ans ? entendis-je.

J’eus froid.

Involontairement ma main s’enfonça dans ma poche et toucha les herbes cueillies avant le chant du coq pour détourner le présage.

Un bruit infernal éclata bientôt ; nous arrivions devant la mairie où les conscrits des environs étaient déjà rassemblés. Rapide comme l’éclair, la pensée du calme délicieux de nos champs traversa mon esprit ; un gros soupir s’échappa de ma poitrine, car les sonneries des trompettes,