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LE CHARME

au fond une goutte de sang que l’onde, coulant depuis des siècles, n’avait pu effacer,

La légende disait qu’à une époque très reculée, un combat terrible avait eu lieu entre le Nain Courtes-Bottes et le géant Noir-Menton ; on s’était battu, selon la coutume du temps, à coups de rochers et de chênes, aussi vieux que le monde ; de montagnes enlevées comme brassées de pâte par le mitron ; car maître Courtes-Bottes malgré l’exiguïté de sa taille, avait l’orgueil de combattre à armes égales. Il est vrai qu’il avait compté sur l’assistance de son beau-père Forminicule, roi des Fourmis, qui avait mis toutes ses sujettes à la disposition de son gendre.

Au moment où Noir-Menton soulevait de ses énormes bras un roc épouvantable pour écraser le nain, des millions de petites douleurs, cuisantes comme des brûlures, se font sentir à ses pieds et montent, montent en même temps que les Fourmis. Par un mouvement naturel les mains du géant se portent à l’endroit de la cuisson ; le rocher abandonné tout à coup par la force directrice d’avant en arrière, retombe brutalement en droite ligne et renverse l’infortuné. Courtes-Bottes pousse un cri de triomphe, Noir-Menton, transporté de fureur, frappe la terre de son large poing… Une source jaillit à l’instant, une source limpide comme le cristal qu’une goutte de sang tombée du front du géant vient aussitôt troubler.

Il fallut plusieurs siècles pour que l’eau reprit sa teinte primitive ; mais, aucun pouvoir, si grand