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TOUT DROIT

ments que les leçons bizarres du père Lascience : je vivais dans un milieu ignorant et superstitieux, regardant une innovation comme un outrage à la mémoire des ancêtres, attribuant les faits incompris par des esprits incultes à une influence maligne, et faisant, en tout, ce qu’avaient fait leurs pères, sans chercher ni amélioration, ni perfectionnement ; mais, je pensais, je m’efforçais de sortir des ténèbres dont j’étais environné, aspirant à savoir, à connaître, à m’éclairer autant que je le pouvais.

Dans le pays, je passais pour un bon garcon, rude travailleur, pas maladroit, c’est-à-dire intelligent ; on ne m’avait jamais vu perdre mon temps et mon argent au « Lapin-qui-Saute » ; aussi, on me faisait de l’accueil partout.

Cependant, parfois de grandes tristesses m’envahissaient en songeant à mon ignorance : le livre me semblait l’instituteur sacré qui pouvait me conduire à la vie intellectuelle que je pressentais ; mais, hélas ! le livre était muet pour moi ! Quand, par malheur, mes yeux tombaient sur le vieux bahut de chêne que mon grand-père aimait tant, mes regrets n’avaient plus de bornes. J’entendais alors les paroles de mon aïeul :

« Tu vois ce bahut, mon enfant, c’est là que mon frère, le tabellion, logeait les écrits du pays. »

Il me prenait des rêveries insensées. Je me représentais mon vieil oncle fouillant gravement dans son bahut, sortant des parchemins noircis