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LE NUMÉRO TREIZE

— Il se gausse de moi, foi d’honnête femme !

— Qu’à… qu’à celles qui vont au sabbat !

— Méchant gamin, fit-elle en riant un peu.

Elle tira sa tabatière d’écorce, donna de l’index plié plusieurs petits coups sur le couvercle et aspira lentement une prise en réfléchissant.

— Père tout-puissant ! où allons-nous ? Voilà les enfants qui ne croient plus à rien… Mauvais signe ! Oui, la fin du monde approche, c’est clair. Ah ! dans mon jeune temps on n’avait qu’à vous dire : « C’est ci ! c’est ça ! », on croyait tout. Mais, depuis qu’on vous apprend le monde de la campagne, à lire et à écrire, ni plus ni moins qu’à des seigneurs, tout va à l’envers.

Elle se leva.

— Je sais bien que tu as du naturel quoique tu sois un peu trop avancé pour ton âge, qu’à la veillée tu me débrouilles mon fil quand il s’emmêle, que tu es travailleur et qu’on n’a volontiers pas de reproches à te faire ; mais il y a une chose que je n’aime pas : ta fréquentation avec ton parrain.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? pourquoi ? Ce n’est pas une question ça, pourquoi ?

— Vous croyez qu’il m’emmène pour danser en rond avec les follets et les fées au clair de lune ?… Écoutez, Mathurine, je vous invite pour la première.

— Le garnement ! il n’a pas honte de me dire des choses pareilles !