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liers et centaines de milliers, ces oiseaux couvrent le sol comme des linges blancs posés sur l’herbe. Les chasseurs, cachés dans les branches, en abattent à remplir les canots. La nuit, ces volailles font un tintamarre si ahurissant qu’on n’en peut fermer l’œil.

Quelquefois il y a panique au milieu de la bande. Les cris s’accentuent et vous fendent l’oreille comme un coup de tonnerre. Au même moment s’élève du sol une sorte de cyclone vivant qui monte en trombe vers le ciel, qui obscurcit un instant le soleil et qui retombe aussitôt avec tapage et fracas. Une fois engraissées dans les marais de la baie James, les oies blanches émigrent en bandes, traçant des V dans le ciel. Leur départ annonce le gel des lacs et des rivières.

En 1921, à quelques milles de Kipockaw, vivait la pieuse famille de John Ispénish. À la mi-février, une de leurs petites-filles, Bernadette, âgée de douze ans, minée par la consomption pulmonaire, était à la dernière extrémité. Un soir, les voisins sympathiques entouraient la malade en récitant des prières. Le bébé Daniel, âgé de 2½ ans, réussit à sortir sans être remarqué. Cet enfant n’avait jamais parlé ; on le savait muet. Or, voici que soudain sa langue se délie, et on l’entend crier du dehors : « Ashaié ni mis ni wabamaw ichpimik » (Je vois ma sœur aînée en haut), et son petit doigt montrait le firmament.

Ce fut un cri d’étonnement dans le wigwam en pleurs, car Bernadette venait tout juste de rendre le dernier soupir.

KAPUSKASING
Kapuskasing pour Kipockaching (là où c’est fermé) Cris, algonquin.
Racines : Kip : fermé, bouché ; ing : le locatif.

La rivière Kapuskasing est remarquable par son rapide croche. Qu’on remonte le courant ou qu’on le descende, la rivière semble bouchée.

Près de ce rapide anguleux est située la ville de Kapuskasing. bâtie en demi-cercle, avec son aéroport, son moulin à papier et sa ferme expérimentale.

Pendant la guerre de 1914, Kapuskasing eut un camp d’internement pour les prisonniers. 1880 Allemands habitèrent les baraques. Une cinquantaine y moururent de la grippe espagnole. Un jour, une sentinelle en faction s’aperçoit qu’un piquet de la clôture barbelée branlait comme s’il eût reçu des coups. Le soldat donne l’alerte et l’on découvre que des prisonniers y creusent un tunnel afin de

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