Page:Guinard - Les noms indiens de mon pays, 1960.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Manawan. Debout, appuyé sur une grosse canne qu’il s’était fabriquée, et la levant de temps à autre pour faire un geste ou pour indiquer un endroit, il parlait ainsi et tous les Indiens de Wémontaching écoutaient. J’avais alors environ huit ans, nous étions campés là où est la maison de la Prière. Un matin, un homme de notre bande dit : « Il vient quelqu’un, une voile brille à l’horizon. » Puis montrant l’ouest, il ajouta : « Quand le soleil aura marché jusque-là, le visiteur débarquera ici au lieu où nous sommes. »

« Alors, tous nous allâmes camper là-bas, à l’embouchure de la rivière Manawan. Nous étions craintifs et pour rendre leur cœur plus fort, les hommes buvaient de l’eau de feu, mais raisonnablement. Dans l’après-midi, toujours inquiets, nous regardions du côté du magasin de la Compagnie. Nous entendîmes un coup de feu et, peu après, au mât de l’embarcation apparut le linge rouge qui s’agite au vent (le pavillon). Alors tous se dirent : « Il est arrivé. Qui est-il ? Que nous veut-il ? » Le lendemain, vers le milieu du jour, le grand canot s’approcha, monté par des visages pâles. Il avançait lentement. Un homme en robe noire était assis au milieu d’eux.

« Plusieurs de nos gens étaient restés dans leur wigwam, d’autres se tenaient debout sur la côte ; les chiens aboyaient et hurlaient. La robe noire ôta son chapeau et nous salua. Lentement, il monta la côte et il donna la main à tous. Il dit : « Mes frères, je viens de Métabenotin (Trois-Rivières). Je ne viens pas acheter des peaux de castor, de loutre, ou de vison ; je ne suis pas marchand. Je suis envoyé par le Grand Esprit, l’Esprit Bon qui a fait le ciel et la terre, les animaux qui vivent dans les eaux et dans les forêts. Si vous voulez planter vos mikiwams de l’autre côté de la rivière, je vous enseignerai à connaître ce Grand Esprit et à le prier ». Le chef répondit : « Nous traverserons pour t’entendre ». Quand la Robe Noire fut partie, nous avons levé le camp. C’était facile, nous n’avions presque rien. Quand nous fûmes de l’autre côté, nous construisîmes une longue cabane d’écorce, tous y mirent la main. Les hommes apportaient des perches, les femmes des branches de sapin. Au fond de la cabane, la Robe Noire étendit une toile blanche et y accrocha des médailles, des chapelets, des images, des crucifix qui brillaient ; alors nous ne savions pas ce qu’étaient ces choses. C’est là qu’il disait la messe, et c’est dans cette longue cabane que j’entendis pour la première fois le chant de la Prière. Il y avait parmi nous un homme et une femme qui venaient d’Oka, sur la rivière Ottawa et qui savaient prier. La Robe Noire se servit d’eux

— 191 —