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chaussées de castor. Les castors sont presque des animaux domestiques ; ils vivent en clan ou familles dans des souterrains qui aboutissent au rivage d’un lac ou d’un ruisseau. Au rétrécis de ces cours d’eau, ils construisent des barrages avec un béton armé de leur invention, formé de terre et de menues branches. C’est ainsi qu’ils maintiennent l’eau à un niveau toujours égal et gardent sec le fond de leurs terriers. Les castors se font chaque automne une réserve hivernale. Elle consiste en un amas de bois vert et frais, surtout de tremble, qu’ils placent dans l’eau, comme on met un bifteck au réfrigérateur, et qu’ils grignoteront tout l’hiver durant. On chasse le castor pour sa fourrure et sa chair.

Chez les Indiens, il existe plus d’un récit fabuleux sur le compte des animaux de la forêt. Voici une excellente version de la fable LE CASTOR ET LE PIÈGE, telle que racontée par mon vieux servant de messe, Alexandre Pitchikwi :

Un castor descendait à la nage une rivière, battant fièrement le courant de sa large queue. Il relevait la tête, montrant sa barbe et ses dents, il disait : « Je suis puissant, je fais des barrages, je taris les rivières, je refoule les eaux, je construis des mers, et les forêts s’éclaircissent sous mes dents ». À ce moment il passe près d’un piège. S’arrêtant devant la curieuse machine, il questionne. « Qui es-tu ? Qu’attends-tu ? Comment t’appelles-tu ? — Je m’appelle Piège, répond l’autre. Quand mon Maître m’a placé ici, il m’a dit : Si quelqu’un passe, prends-le et retiens-le dans tes serres. — Eh bien, prends-moi, dit le castor, si tu crois en avoir la force. — Je ne cours personne, répond le Piège, mais si tu me touches, malheur à toi. » Le Castor, d’un air dédaigneux, lui donne un coup de patte. Piège le saisit au jarret. Surpris et effrayé, le Castor fait un bond et veut fuir. Il rue, se tord, se mâte, s’élance, rage. Mais Piège n’en mord que plus rudement. « Lâche-moi, dit le Castor, tu me fais mal. — As-tu si vite oublié la parole de mon Maître ? répond Piège. » Alors, le Castor se met à mordre de ses deux mâchoires. Le Piège plie, étincelle sous les coups de dents. Le Castor brise ses longues incisives, ses belles et larges dents jaunes. Poil en broussailles, haletant, tremblant, le captif se sent vaincu, Il baisse la tête, ferme les yeux, et grogne des paroles incohérentes. À ce moment, sort du fond de la rivière, une multitude d’insectes. Apercevant un gros hanneton, le Castor lui dit : « Mon ami, viens à mon secours, coupe-moi cette patte endolorie ». Le hanneton s’approche en bourdonnant, se met à l’ouvrage, mordant les chairs bleuâtres et coupant lentement les os. L’opération terminée, le

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