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semble… et Kiosaï fut mené en prison pour délit d’injure au gouvernement taïkounal.

À peine délivré, notre homme s’empressa de faire une autre caricature politique et, de nouveau, il vécut aux frais du gouvernement. Et chaque fois que la durée de sa peine était expirée, son pinceau commettait un nouveau délit qui l’amenait encore une fois devant la justice expéditive et emprisonnante du Taïkoun.

Le changement de gouvernement, l’arrivée du Mikado à Tokio lui donnèrent un peu de répit.

Il put même assister au grand Congrès des peintres et des lettrés japonais qui eut lieu dans la capitale sous les auspices du gouvernement impérial. À la fin de la réunion on supplia Kiosaï de donner une preuve de son habileté. Saisissant son pinceau, il représenta des grands seigneurs, noblement vêtus, devant lesquels des étrangers, Anglais, Américains, Français, se livraient à une pantomime irrespectueuse.

Le geste des grands seigneurs qui se bouchaient le nez indiquait suffisamment la nature de l’outrage qu’ils subissaient. Les Japonais, qui n’ont pas encore le goût de l’euphémisme et qui volontiers bravent l’honnêteté comme les Latins et les Français du temps de Rabelais, ne craignent pas ce genre de plaisanterie. Aussi les membres du Congrès goûtèrent fort la composition de Kiosaï ; elle passa de main en main et eut un vif succès. Mais la police, qui était de la fête, demanda à l’artiste quelques explications. Elle voulut savoir qui étaient ces nobles personnages ainsi bafoués.

— Les ministres du Japon, s’écria l’artiste, les ministres qui supportent tout de ces voleurs d’Européens.

Alors les policemen lui passèrent aux mains les petites cordelettes qu’ils ont toujours avec eux et Kiosaï put constater qu’il n’y avait pas grande différence entre les prisons du Mikado et celles du Taïkoun.