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La maison de la vieille était petite et elle n’avait qu’une chambre à offrir aux voyageurs, mais elle aimait à faire son choix et s’adressait particulièrement aux jeunes gens bien mis qui voyagent à cheval et ont d’ordinaire la bourse bien garnie.

Elle forçait sa malheureuse fille à se tenir devant la porte et à attirer chez elle les galants cavaliers.

L’accueil était charmant, on le devine, et presque toujours le voyageur happé se décidait à passer la nuit en si aimable compagnie.

Mais, détail bizarre, la vieille n’avait à donner à son hôte qu’un oreiller de pierre. Pour les Japonais qui passent la nuit la tête durement posée sur un rectangle de bois, un moellon en guise de coussin peut ne pas surprendre beaucoup.

Or, quand le galant s’était endormi sur son oreiller, la jeune fille prévenait sa mère qui venait sans pitié écraser la tête du voyageur.

L’affreuse vieille vivait ainsi en s’enrichissant des dépouilles de ses victimes.

Et l’infortunée jeune fille ne savait plus ce qui était vertu ou ce qui était crime, faisant œuvre quotidienne de l’horreur et de l’infamie et n’ayant plus ni remords de ses méfaits, ni conscience de son abjection.

La justice humaine, de son bras incertain, aurait pu la punir ; un dieu même n’aurait pu la sauver.

Son cœur devenu insensible n’avait plus ni amour, ni pitié. Quelles fautes avait-elle donc commises dans ses existences antérieures pour être avilie ainsi ? Et quel sort épouvantable l’attendait au delà de la tombe ?

Un jour, une violente émotion vint faire battre son cœur que plus rien ne savait émouvoir.

Elle attendait dans la rue le passage de quelque victime nouvelle, et justement sa proie se présentait à elle sous la forme d’un jeune homme