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l’une de mes belles-sœurs des phrases comme celle-ci :

— Savoir si ça va durer longtemps ?

À quoi une autre répondait :

— Ça n’est pas à souhaiter.

Je n’aimais ni ne détestais la vieille femme ; elle m’était plutôt indifférente. Mais j’étais quand même peiné de ces dialogues où perçait le désir de sa mort. Quand nous étions à table, je portais machinalement mes yeux sur son lit et une angoisse m’étreignait de la contempler immobile et le teint cireux sous sa vieille coiffe, ou bien remuant les lèvres pour des articulations qui n’étaient pas des mots. Souvent j’abrégeais le repas, emportant un morceau de pain pour manger dehors, parce qu’en sa présence ça me devenait impossible.

Je trouve qu’un des bons avantages des fortunés, est d’avoir des appartements composés d’une série de pièces, — celle où l’on mange étant distincte de celle où l’on couche, chaque ménage ayant sa chambre propre et, conséquemment, son intimité distincte. Au moins, ils peuvent être malades tranquillement. Tandis que dans l’unique pièce des maisonnées pauvres, c’est tous les spectacles mêlés, la misère de chacun s’étalant aux yeux de tous sans possibilité contraire.

Et c’est ainsi qu’à côté de ma grand’mère se mourant, mes petits neveux clamaient leur joie d’être au monde, l’assommaient de leurs jeux bruyants, de leurs cris. La vie allait son train coutumier. Qu’importait la vieille femme paralysée !

Elle mourut à l’entrée de l’hiver, à la suite d’une seconde attaque, après une journée seulement de souffrances plus vives. Aussitôt qu’elle fut morte, on arrêta l’horloge et on jeta dehors l’eau qui était dans le seau parce que l’âme de la défunte avait dû s’y baigner avant de s’élever vers les régions célestes. Comme je