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— Conduis-moi, je t’en prie, dit-il. Ne me laisse pas tout seul là…

— Tu n’aurais pourtant que ce que tu mérites, fis-je d’un ton de justicier.

— Oh ! Tiennon, tu t’es bien assez vengé… Je te jure que je n’avais pas du tout l’intention de te faire du mal. Je voulais seulement te faire peur pour que tu ne reviennes plus voir la Thérèse. Depuis quelque temps je l’aimais à n’en plus dormir. Mais tu peux être tranquille à présent, va : c’est toi qui l’auras ; je suis foutu !

Je m’efforçai de le rassurer sur son état ; puis, avec de grandes précautions, je le mis sur ses jambes. Il chancelait beaucoup ; pourtant, appuyé sur moi, il put se tenir et faire quelques pas ; mais un faux mouvement provenant du heurt de son pied contre un caillou le fit crier de douleur.

— Asseyons-nous ; je ne peux pas aller plus loin, dit-il en sanglotant.

Nous n’avions pas parcouru dix mètres.

Je me baissai, le fis s’appuyer sur mon dos, sa tête sur ma nuque, ses bras m’étreignant, ses mains se nouant sur le haut de mon estomac. Puis, m’étant relevé doucement, mes mains passées sur ses cuisses pour l’empêcher de glisser, je me mis à marcher avec précaution, tout courbé. Mais j’eus beau faire : les secousses inévitables de la marche lui causaient des souffrances tellement intolérables qu’il gémissait à fendre l’âme. Je l’emportai quand même, sans paraître faire attention à ses plaintes qui, tantôt s’affaiblissaient, et, tantôt redevenaient déchirantes. Vint un moment où l’étreinte de son bras parut mollir, où son corps pesa davantage d’être inerte. Je le crus mort. Comme j’étais exténué, je le déposai à terre lentement ; il ne remua pas. Je courus retremper la serviette dans un trou de