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AUX LECTEURS


Le père Tiennon est mon voisin : c’est un bon vieux tout courbé par l’âge qui ne saurait marcher sans son gros bâton de noisetier. Il a un collier de barbe claire, très blanche, les yeux un peu rouges, une verrue au bord du nez ; la peau de son visage est blanche aussi comme sa barbe, d’un blanc graveleux, dartreux. Il porte toujours, — sauf pendant les mois d’été, — une grosse blouse de cotonnade serrée à la taille par une ceinture de cuir, un gros pantalon d’étoffe bleue, une casquette de laine dont il rabat les bords sur ses oreilles, un foulard de coton mal noué, et des sabots de hêtre cerclés d’un lien de tôle.

Je rencontre souvent le père Tiennon dans la grande rue qui relie à la route nationale la ferme où il vit et celle où j’habite, et, chaque fois, nous causons. Les vieillards aiment bien qu’on leur prête attention et, la plupart du temps, personne n’est disposé à le faire. Or, pour peu que j’aie des loisirs, je suis pour le père Tiennon un auditeur complaisant. Ayant vécu longtemps, il se souvient de beaucoup