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chez nous à l’heure des repas pour voir s’il ne se trouvait pas sur la table des fruits non partagés. Les jours de marché elle se trouvait toujours là comme par hasard à l’heure où partait ma mère et, du regard, inspectait les paniers, craignant sans doute qu’ils ne contiennent des denrées soustraites à la communauté. Bref, elle passait une partie de son temps à fureter et à épier, toujours empressée de connaître le pourquoi et le comment des moindres choses. Ma mère et mes belles-sœurs ne tardèrent pas à ronchonner beaucoup à cause de cela.

Un jour, Mme Boutry ayant fait observer à la Claudine que des prunes avaient dû être soustraites au gros prunier de la rue, celle-ci, qui n’était pas toujours commode, lui fit une réponse un peu vive :

— Ma foi, que voulez-vous que je vous dise… j’ai autre chose à faire que de rester là pour les garder.

Un autre jour que deux poulets avaient disparu, probablement pris par la buse, la propriétaire observa :

— Je trouve que cela arrive souvent : vous devriez les veiller mieux.

— Nous louerons une servante pour ça ! répondit ma belle-sœur ironiquement.

Et la dame fut très froissée.

M. Boutry et sa femme avaient enfin une commune manie que personne chez nous ne pouvait souffrir : ils étaient toujours à nous donner des conseils d’hygiène. S’ils nous voyaient en sueur à la suite d’une séance de travail pénible :

— Ne restez pas ainsi, disaient-ils. Allez tout de suite vous changer. Massez-vous les uns les autres pour que la circulation du sang ne se ralentisse pas trop vite. Surtout, évitez les courants d’air.