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choses anciennes qui l’avaient frappé, mais de quoi il n’avait jamais osé l’entretenir de peur de le mécontenter. Il répéta, appuyé par ma mère :

— Oui, oui, vous êtes un voleur ! Si vous aviez agi honnêtement j’aurais peut-être trois ou quatre mille francs devant moi alors que je n’ai pas seulement un sou. Oui, oui, vous êtes un voleur !

Fauconnet, malgré son toupet, blêmit. Son visage glabre eut des plissements très accentués, une grimace horrible. Furieux, avec un geste de menace, il dit :

— Vous viendrez raconter cela devant les juges, mes agneaux ! Je vais vous attaquer pour insultes et atteintes à l’honneur ; vous ne savez pas ce qui vous pend au nez, soyez sûrs… En attendant, Bérot, cherche un autre domaine, vieux malin !

Il sortit, alla seul prendre son cheval dans l’étable, et, en partant, il cria de nouveau :

— Vous saurez comment je m’appelle, n’ayez pas peur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En osant cela, mes parents savaient qu’ils allaient au devant d’un congé immédiat : cette conséquence prévue les laissa donc indifférents. Mais la menace d’un procès les effraya beaucoup, et leur appréhension à ce sujet était partagée par tous. Devant les juges, avec les meilleures raisons, les malheureux se trouvent avoir tort ; c’était une vérité déjà connue. Qu’arriverait-il ! On ne pourrait qu’affirmer ce qu’on savait être la vérité, alors que le maître montrerait des papiers, présenterait des comptes qui auraient l’air d’être justes : et il aurait gain de cause. Ma grand’mère gémissait :

— Les hommes de loi vont tout nous prendre ; ils feront vendre aux enchères le mobilier et les instruments. Ah ! mon Dieu !…

Ces terreurs étaient vaines pourtant : Fauconnet ne