Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une des pierres et m’enfonçai dans une flaque d’eau jusqu’à mi-jambe. Des gouttes de cette eau boueuse allèrent souiller les vêtements et la figure de ma compagne. Je me tirai de là tout penaud, le pantalon ruisselant et imprégné de boue, pendant qu’elle riait de l’aventure. Dans la cour, je la repris néanmoins par la taille et, avant de la quitter, je la pressai tout contre moi en une étreinte passionnée, et lui redonnai, sans qu’elle s’en fâchât, un long baiser d’amant…

Je regagnai, fiévreux, le Garibier. Une exubérance de vie me soulevait. Par cette nuit d’hiver sombre, venteuse et pluvieuse, j’avais du ciel bleu plein le cœur…

Donc, à partir de cette soirée, Thérèse devint ma bonne amie attitrée. Je n’eus pas crainte d’afficher mes préférences pour elle aux autres veillées de cet hiver-là, aux vijons de l’été suivant, non plus qu’au bal de l’auberge Vassenat, les jours de fête. J’allais même la trouver dans les pâtures, les dimanches où il n’y avait pas assemblement, et nous passions de longues heures seul à seule au long des grosses haies parfumées et discrètes, complices des amoureux. Pourtant elle ne devint pas ma maîtresse. Nos relations se bornèrent à des mignardises innocentes, à des baisers nombreux et à des rééditions de nos effusions de lèvres du premier soir. Jeunes et naïfs tous deux, la timidité, la pudeur, la crainte des suites nous empêchèrent d’aller jusqu’à la consommation de l’amour. J’avais d’ailleurs absolument l’intention d’en faire ma femme.