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Elle avait renversé la tête d’un geste instinctif : je la sentis tressaillir.

— Finis, je t’en prie, reprit-elle d’une voix plus faible, quasi suppliante.

Mais elle ne put éviter ma caresse ; nos lèvres se scellèrent en un baiser délicieux. Tout près, avec un air de nous narguer, une chouette se mit à pousser une série de hululements gutturaux. Nous reprîmes notre marche à pas plus vifs, troublés beaucoup tous les deux de cette première manifestation d’amour et péniblement impressionnés par les cris de mauvais augure de l’oiseau nocturne.

La bruine s’était remise à tomber, dense et froide. Elle humectait la cape de bure de ma compagne ; elle dégoulinait sur ma grosse blouse de cotonnade qu’elle était impuissante à pénétrer et sur nos mains unies, chaudes de fièvre, elle mettait son contact glacé…

Le champ traversé, il nous fallut, par un échalier, franchir la bouchure qui le séparait du pré de la Bourdrie. Il faisait tellement noir que nous eûmes de la peine à trouver l’échalier. Je le passai le premier et, comme le pré était en contre-bas, je reçus Thérèse dans mes bras au pied du pieu crochu qui servait d’accès pour monter et d’échelon pour descendre. Je voulus m’autoriser de ce service pour en faire le prétexte d’une nouvelle étreinte, mais elle se dégagea si vite que je n’eus même pas le temps de l’embrasser. Tout au long du pré humide nous allâmes très sagement et presque silencieusement. Il nous fallut ensuite parcourir un bout de très mauvais chemin ; nous fûmes obligés de passer à la file sur un sentier fait de grosses pierres placées en ligne et assez éloignées l’une de l’autre. Pour faire le brave, et malgré que le sentier ne me fût guère familier, je voulus aller le premier. Ma témérité fut punie : bien qu’avançant avec précaution, je manquai