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Alors on se remettait à décomposer :

― Cinq pièces de trente francs, cinq pièces de huit francs, cinq pièces de dix sous…

C’était comme cela pendant des soirs et des soirs. Lorsqu’on arrivait à la fin, on ne souvenait plus des totaux précédemment faits et il fallait tout recommencer. C’était à désespérer de pouvoir aboutir. On finissait pourtant par se mettre d’accord sur un chiffre sans être bien certain, d’ailleurs, qu’il soit le véritable.

Quand M. Fauconnet arrivait pour compter, il avait vite tranché toutes les questions, lui. Il disait, son papier à la main :

— Les achats se montent à tant, les ventes à tant ; il te revient tant, Bérot…

Les mauvaises années, cette somme était nulle ; il y avait même retard. Des fois elle se montait à deux ou trois cents francs, jamais au delà. Souvent mon père avait espéré mieux : il se hasardait à dire :

― Mais, monsieur, je pensais d’avoir à toucher plus que ça ?

Alors le visage du maître prenait de suite son mauvais plissement :

— Comment, plus que ça ? Est-ce que tu me prends pour un voleur, Bérot ? S’il en est ainsi je vais te prier de chercher un autre maître qui ne te vole pas.

Mon père s’empressait de bredouiller, très humblement :

— Je ne veux pas dire cela, monsieur Fauconnet, bien sûr que non !

— À la bonne heure, parce que, tu sais, les laboureux ne manquent pas : après toi, un autre.

Pourtant, quand la différence était trop considérable, Fauconnet daignait expliquer qu’il avait reporté au compte prochain les ventes du mois d’octobre. Cela lui