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nous entassions sur la civière des « bigochées » monstres. Le Louis excitait ma vanité :

— Nous en mettons encore un peu, hein ? Tu porteras bien ; c’est là que nous allons voir si tu es un homme.

Comme je tenais à me montrer homme, je consentais à laisser grossir le chargement tant et si bien qu’après, lorsqu’il me fallait soulever ce fardeau trop lourd, il m’en craquait dans les reins. Au début, néanmoins, je parvenais à m’en tirer ; mais au bout d’un moment, je suffoquais de chaleur. Quelle que soit la température extérieure, ma chemise se mouillait de sueur. Et mes nerfs fatigués se détendaient : la civière, — dont je ne pouvais plus serrer suffisamment les poignées, — m’échappait dans le parcours de l’étable au gros tas de fumier de la cour. On avait beau ensuite modérer le chargement : à tout propos une nouvelle échappade survenait. Alors mon père, ou mon parrain, était obligé de venir me remplacer, et ils me raillaient, ce qui me faisait mettre en rage.

J’ai remarqué depuis que tous les débutants connaissent ces ennuis-là. Quand on commence à travailler, on a tout de suite le désir de faire aussi bien que les grands ; mais on ne peut y parvenir, car on manque de force, d’adresse et d’expérience. Les autres font sonner bien haut leur supériorité, conséquence de leur âge : et l’on souffre de ne pouvoir les égaler…


IX


M. Fauconnet venait chez nous tous les quinze jours à peu près, à cheval ou en voiture, selon l’état des