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forcé de convenir que ce n’était pas tout rose non plus, que, si l’on conservait les pieds secs, on se fatiguait joliment les bras et qu’on avalait par trop de poussière. Il faut noter que le battage n’était pas une petite affaire à cette époque où tout s’écossait au fléau. Cela durait depuis la Toussaint jusqu’au Carnaval, et même jusqu’à la Mi-Carême, sans interruption presque, sauf quelques journées chaque mois, quand la lune était bonne, pour tailler les haies et ébrancher les arbres. Dans la journée, on battait seulement entre les deux pansages ; mais on se reprenait à la veillée. L’année de mon début se trouvant être une année d’abondante récolte, nous battions chaque soir jusqu’à dix heures à la lueur d’une lanterne. Je ne connais pas de besogne qui, plus que celle-ci, soit énervante, porte à la révolte. Manœuvrer le fléau constamment, du même train régulier, pour conserver l’harmonie obligée de la cadence ; ne pouvoir un instant s’arrêter ; ne pouvoir même disposer d’une de ses mains pour se moucher, pour enlever le grain de poussière qui vous fait démanger le cou : quand on est encore malhabile et non habitué à l’effort soutenu, c’est à devenir enragé ! Je n’étais content que les jours où l’on vannait, quand je voyais le gros tas de mélange gris diminuer peu à peu, passer en entier dans le tarare, et que je plongeais mes mains avec délices dans le grain propre…

Les séances de nettoyage des étables, la samedi matin, étaient bien dures aussi. C’est avec le Louis que j’effectuais ce travail. Nous avions une grosse civière de chêne que je trouvais déjà lourde sans qu’elle fût chargée. Munis chacun d’un « bigot »[1], nous piquions violemment dans la couche épaisse de fumier chaud et

  1. Fourche recourbée en forme de crochet.