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et de la neige quelquefois. Cela traversait mes vêtements, m’enveloppait d’un suaire glacé et mes mains étaient d’un rouge pourpre tavelé de taches violettes. Un jour que les averses nous douchaient plus que de raison, j’eus des frissons qui n’étaient pas uniquement des frissons de froid. J’avais le front brûlant, les dents claquantes et l’estomac lourd. Je bâillais et, bien qu’il fût tard, je n’avais pas faim. Je dis à mon parrain que j’étais malade et que je voulais m’en aller. Mais il se fâcha, me traita de « grand feignant », m’obligea à continuer. À la dernière extrémité pourtant, une averse trop brusque nous ayant fait réfugier dans le creux d’un chêne, il se donna la peine de m’examiner ; il constata que j’étais soudain très pâle et soudain très rouge, comprit que j’avais un accès de fièvre et consentit au départ. Mes jambes flageolaient, molles et fatiguées : j’eus de la peine à gagner la maison. On me fit tout de suite coucher ; on me couvrit bien ; et, le lendemain, à la suite d’une bonne suée, j’eus par tout le corps une éruption de petits boutons rouges.

Cela me tint sédentaire pendant une quinzaine. Quand je pus repartir dans les champs, la rougeole passée, avril rayonnait. Il y avait du soleil, de la verdure et des oiseaux. Les haies se paraient de jeunes feuilles et les cerisiers étalaient leur floraison blanche. La nature en joie semblait fêter ma guérison. Je trouvai du bonheur à circuler, à vivre.

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L’hiver d’après mes quinze ans, ayant cessé tout à fait de garder les cochons, je dus agir en homme. On me mit à battre au fléau et à participer au nettoyage des étables.

Les années d’avant, quand j’allais au champ dans la neige, j’enviais ceux qui restaient à la grange pour battre. Mais quand je dus le faire à mon tour, je fus