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— Il faut danser, les petits : c’est une bonne occasion pour apprendre.

Et comme nous baissions tous la tête en rougissant, mon parrain reprit :

— Allons, Tiennon, attrape la Thérèse et fais-la tourner…

Il y mit de l’insistance, et, malgré notre confusion, il nous fallut partir. La tête nous tourna bien un peu ; nous nous cognions aux grands qui nous rejetaient à droite et à gauche ; mais nous allâmes jusqu’au bout quand même, et quand ce fut fini, voyant les autres embrasser leurs danseuses, je mis deux gros baisers sur les joues roses de la Thérèse, ce dont mon parrain qui nous observait me taquina fort. Mais ce premier essai m’avait donné de l’audace et je me mêlai ensuite à presque toutes les danses.

La lanterne ayant usé son combustible s’éteignit soudain, et, dans la grange enténébrée, ce furent des cris d’effroi et de gaîté, des bousculades et des rires. D’ironiques exclamations passaient.

— Baptiste, gare ta femme !

— Louis, je te vole la Claudine !

— Pauvres jeunes mariés, où en sont-ils ?

Il y avait des étreintes dans les coins ; on entendait des chuchotements, des bruits d’embrassade ; il y eut des baisers anonymes, pris audacieusement, qui firent se fâcher les filles.

Mon parrain m’ordonna d’aller à la maison chercher de la lumière. J’y trouvai les vieux qui, depuis un moment, avaient quitté le bal. Ils étaient attablés de nouveau en train de boire et de chanter, et de s’empiffrer de gros morceaux de volaille rôtie. L’oncle Toinot, tout à fait ivre, dormait sur la table.

Quand l’aire fut éclairée à nouveau, les danses repri-