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bon qu’aidaient ma mère, rentrée sitôt la fin de la cérémonie, la mère Simon, de Suippière, et la servante de la Bourdrie. Tout était sens dessus dessous. On avait monté les lits au grenier. Une grande table faite avec des planches posées sur des tréteaux coupait en deux, diagonalement, la pièce. Une hécatombe de volailles avait eu lieu la veille ; j’en avais compté jusqu’à vingt, — oies, canards et poulets, — étalant sur un banc leur nudité saignante. D’autre part, le boucher de Bourbon avait amené dans sa voiture une provision de viande. Quand je revins des champs, tout cela mijotait dans la chambre à four. Je me régalai avec des abatis de volailles et de la brioche appétissante fleurant le beurre frais.

Ceux de la noce arrivèrent comme il faisait nuit. Ils avaient passé la journée au bourg, chez Vassenat l’aubergiste, où un grand bal avait eu lieu. Car, la noce étant conséquente, il y avait deux musiciens : un vieux maigre qui manœuvrait avec conviction le tourniquet d’une vielle, et un joufflu au nez cassé qui jouait de la musette. Le déjeuner du matin s’était fait hâtivement et de bonne heure au Rondet, avant le départ pour Meillers. Tout le monde avait grand’faim le soir, et le dîner commença presqu’aussitôt.

La grande table se trouvant être insuffisante, on installa sur une petite table spéciale, au coin de la cheminée, les gamins dont j’étais. Il y avait les deux plus jeunes enfants de l’oncle Toinot, trois ou quatre petits de la parenté de mes belles-sœurs et enfin des voisins : les deux gas de Suippière, le Claude et la Thérèse de la Bourdrie. J’étais placé à côté de la Thérèse et j’admirais ses joues fraîches et les quelques mèches de ses cheveux blonds que n’emprisonnait pas son bonnet d’indienne. Je ne lui parlais guère, toutefois, car je continuais d’être peu hardi d’ordinaire, et cet envahissement d’étrangers m’intimidait plus encore. Mes compagnons