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de barbares. Sans compter que le souvenir persistait des grandes guerres de l’Empire pendant lesquelles tant d’hommes étaient morts. Voilà pourquoi la conscription était pour les parents, dix ans d’avance, un sujet de transes continuelles.

En s’assurant avant le tirage, ça coûtait cinq cents francs à peu près, alors que si l’on s’exposait à être pris on ne s’en tirait pas, le cas échéant, à moins de mille ou onze cents francs. Ma mère avait donc accumulé patiemment gros sous et petites pièces dans le tiroir intérieur de son armoire. À force d’économie, rognant sur le sel, sur le beurre et sur tout, elle était arrivée à rassembler pour l’époque du tirage au sort de chacun des aînés les cinq cents francs nécessaires à l’assurance préalable. Elle avait été bien fière de ce résultat qui lui donnait la certitude de les conserver auprès d’elle.

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Mes frères épousaient les deux sœurs, les filles de Cognet, du Rondet. Le Louis ne s’était décidé qu’au dernier moment à demander la Claudine Cognet, car il avait plus près de chez nous une petite bonne amie avec laquelle il voulait bien se marier. Mais ma mère lui avait fait entendre qu’étant sans doute appelé à vivre toujours avec son frère, il valait bien mieux qu’ils aient les deux sœurs pour femmes, que ce serait dans le ménage une garantie de concorde. Et comme elle avait sur lui beaucoup d’ascendant, elle finit par obtenir qu’il acquiesçât à ses avis.

Comme j’étais trop jeune pour servir de garçon, on me fit rester à la maison le jour de la noce avec ma grand’mère et la Marinette. J’allai même garder les cochons comme de coutume, mais je les ramenai de bonne heure sachant bien que, dans le remue-ménage général, on ne s’en apercevrait pas. Le dîner se préparait sous la direction d’une cuisinière de Bour-