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long d’un ruisseau où croissaient des plantes à grains rouges, lesquels grains nous servirent à faire des colliers. Il m’apprit à faire des pétards de sureau et des « marlassières » pour prendre les oiseaux en temps de neige. Nous cherchâmes des prunelles qui, gelées, sont mangeables. Ainsi, nos trajets de retour duraient longtemps : je finis par ne plus arriver qu’à onze heures au lieu de dix ; et, comme ma mère se fâchait, je lui racontais que le curé nous gardait de plus en plus tard ; elle concluait :

— Allons, mange vite la soupe ; tes cochons s’impatientent à l’étable ; il y a deux heures qu’ils devraient être aux champs.

Je repartais alors dans la Breure ou dans quelque jachère pour une bien longue séance de garde : la solitude me pesait plus qu’avant.

Un jour, je commis l’imprudence de ne rentrer qu’à midi ; cela donna l’éveil à ma mère. Le dimanche suivant, elle s’en fut trouver le curé qui lui dit que nous étions toujours libres à neuf heures. Naturellement, elle me tança d’importance et il me devint impossible de continuer à lambiner : si je n’étais pas rentré à dix heures et quart dernière limite, j’étais sûr d’avoir les oreilles tirées.

En mai 1835, après ma deuxième année de catéchisme, le bon curé blanc me fit faire mes Pâques. Étant camarade avec mon ami Boulois, j’allai après la messe, avec mon père, ma mère et mon parrain, déjeuner au Parizet. Ça passait pour être une bonne maison, et, en effet, le repas était copieux : il y avait une soupe au jambon, du lapin, du poulet, il y avait de la miche de froment toute fraîche, de la galette et de la brioche ; il y avait du vin, — j’en bus bien un verre entier, — et du café, boisson que je ne connaissais pas encore. J’abusai peut-être un peu de toutes ces bonnes choses ; toujours