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panne, les uns ici, les autres ailleurs, ne pouvant suivre les « vieilles gamelles » dans toutes leurs pérégrinations. Et pendant que je poursuivais les uns, les autres se sauvaient d’un autre côté : il en résultait qu’à certains jours de guigne je ne pouvais arriver à les ramener tous ensemble à l’étable. Souvent il me fallait, à la tombée de nuit, repartir au diable à la recherche des manquants.

À tous les embêtements que les cochons me causaient aux champs, venait s’ajouter l’ennui d’entretenir en parfait état de propreté le domicile particulier de ces messieurs. Ils étaient logés en trois cahutes exiguës adossées au pignon de la maison ; ils y étaient toujours trop serrés, et, à cause des pavés disjoints, le nettoyage était difficile. Je faisais de mon mieux pourtant ; mais ma mère, qui allait souvent passer l’inspection, ne trouvait jamais que ce fût suffisant : toujours elle me faisait des observations. Je me rappelle d’une fois où elle me battit, parce que j’avais mis à des gorets nouveau-nés de la paille trop raide, ce qui leur avait fait tomber la queue presque à tous.

Ces petites misères ont suffi à me faire garder de ce temps-là d’assez mauvais souvenirs. Mais ce fut à une foire d’hiver à Bourbon, ou j’étais allé avec mon père conduire une bande de nourrains, que m’advint le plus triste épisode de ma carrière de porcher.


V


J’avais alors neuf ans. On me désigna pour aller à la foire parce que, mon parrain s’étant fait l’entorse, mon