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Or, un matin, je vis le temps s’assombrir progressivement du côté de Souvigny. Bientôt des éclairs en zigzag coururent dans ce noir et des grondements assez forts en partirent. Je fis rassembler le troupeau par Médor et le ramenai : il n’y avait pas plus d’une heure que j’étais là. Dans la rue Creuse, entendant moins le tonnerre, j’eus le pressentiment que je faisais une bêtise ; pourtant je n’eus pas le courage de revenir sur ma détermination. Dès qu’elle me vit, ma mère me demanda d’une voix dure qui est-ce qui m’avait pris de revenir si tôt ; et comme je lui parlais de l’orage, elle se mit à rire et à hausser les épaules en me disant que je n’étais qu’un « bourri » de ne pas savoir encore que les orages ne sont jamais pour nous lorsqu’ils prennent naissance du côté du soleil levant. Pour bien me faire entrer cela dans la tête, elle me gratifia de deux claques et me fit repartir sans attendre plus.

« Qui a été pris, se méfie… » Quand survint un autre orage, je jugeai prudent de ne pas m’emballer, bien qu’il se soit formé sur Bourbon. Sans broncher, je laissai donc passer tous les grondements précurseurs. Mais ils allaient augmentant ; de grands éclairs rayaient le ciel de leurs tortils lumineux : l’orage gagnait sur Saint-Aubin. Bien que j’eusse très peur, je ne me décidai à partir qu’au moment où se mirent à tomber de grosses gouttes espacées. J’étais à peine dans la rue que la pluie augmenta soudain, tomba en une averse de déluge, parsemée de grêlons. Les moutons refusaient d’avancer ; j’étais ruisselant, transpercé, meurtri et commençais à me faire bien du mauvais sang quand j’aperçus venir à mon secours, les épaules couvertes d’un sac vide, mon père. Il me demanda si je n’étais pas idiot à fond de ne pas rentrer par un temps pareil. À la maison, après qu’elle m’eut fait revêtir des habits secs, ma mère me tarabusta de nouveau.